Chronique de la haine ordinaire. Les petits pois.

Je voudrais remercier en personne le bienfaiteur de l'humanité qui a décidé de munir chaque boîte de conserve d'un languette destinée à en faciliter l'ouverture. C'est à ce genre de détail que l'on mesure les progrès effectués par la civilisation depuis le barbecue d'aurochs à même le sol de la caverne.

Grâce à cette ordur... enfin je voulais dire ce génial philanthrope, au lieu d'avoir recours immédiatement à un engin barbare, l'ouvre-boîte, ayant bêtement fait ses preuves depuis fort longtemps, pour ouvrir en sifflotant sa boîte de petits pois tout en pensant à autre chose ou même à rien, il faut maintenant procéder par étapes.

D'abord insérer un doigt sous la languette située sur le couvercle de la boîte pour la soulever , se casser un ongle au passage, changer de doigt, se casser une autre ongle, et ainsi de suite jusqu'à ce que le dernier ongle ait rendu l'âme.

A la réflexion, opter pour le travail à l'arme blanche comme à Azincourt au bon vieux temps. Pour cela passer dix bonnes minutes à chercher dans un tiroir de la cuisine un bitoniot quelconque pouvant faire office de levier. Eviter les lames de couteaux, elles cassent, je le sais j'ai déjà essayé. Laisser tomber les ustensiles ménagers si on n'en possède aucun fait d'un alliage au carbure de tungstène, aller plutôt chercher dans le garage un tournevis ou bien mieux ; un pied-de-biche. A défaut un démonte-pneu fera l'affaire.

Une fois muni du bitoniot adéquat passer un bon quart d'heure en manipulations aussi hasardeuses que diverses pour insérer ce bordel de bitoniot dans cette imbécile de languette et réussir à la décoller. Un temps que la maisonnée au grand complet, chat, chien, femme et enfant va mettre à profit pour ; dans l'ordre, se réfugier en haut d'une armoire en crachant, se terrer sous la table du salon, se rappeler soudainement que des tâches de la plus extrême urgence et trop longtemps déférées vous appellent ailleurs, au loin. Très loin. Le plus loin possible.

Prendre quelques minutes pour s'asseoir, souffler un peu, éponger la sueur qui dégouline sur le front et contempler le chemin parcouru. Lorsque la pression sanguine est retombée de vingt-quatre à un niveau à peu près humain, se lever, ne pas oublier de se signer rapidement puis empoigner solidement cette saloperie de boîte d'une main et passer l'index de l'autre dans cette putain de languette. Pour se donner un peu de coeur à l'ouvrage entonner à tue-tête un chant de forçat dont le refrain dit à peu près ceci ; " You hauwled six tons and what do you get ", tirer un grand coup sur la languette qui va d'abord vous cisailler le doigt jusqu'à l'os puis brutalement, sans prévenir, se désolidariser brusquement du couvercle sans que celui-ci ne cède pour autant.

A ce moment là, la force que vous exerciez en tenant fermement cette connerie de boîte pour compenser l'effort de traction exercé sur cette empaffée de languette ne sera plus équilibrée et pourra donner libre cours à sa fantaisie naturelle. Ceci aura pour résultat de faire chasser la main qui tenait la boîte et qui va ainsi balayer tout ce qui se trouvait sur le plan de travail dont un pot de confiture taille familiale à peine entamé qui ira finir tragiquement ses jours en miettes éparses sur le carrelage de la cuisine.

Laisser temporairement de côté cette chierie de boîte, ramasser le plus gros des dégâts en faisaient bien attention aux bouts de verre traîtreusement dissimulés dans la confiture, s'interrompre quelques instants pour panser le pouce profondément entaillé par un éclat de verre encore plus sournoisement caché que les autres. Remplir un seau avec de l'eau mélangée à du nettoyant pour sol, passer la serpillière, ne pas oublier de rincer. En attendant que cela sèche en profiter pour chercher l'ouvre-boîte égaré on ne sait où parce que l'on ne s'en sert quasiment plus pour cause de progrès trépidant.

Au bout d'une demi-heure passée à jouer à cache-tampon, trouver enfin cette raclure d'ouvre-boîte oublié dans le fond du lave-vaisselle, se saisir de cette abrutie de boîte de petits pois pour l'ouvrir avec. Là, une petite contrariété, l'absence de rebord au sommet fait qu'il y a très peu de prise pour guider l'ouvre-boîte et celui-ci dérape, vous arrivez cependant à ouvrir cette enfoirée de boîte en proférant un minimum de jurons.

Malheureusement au lieu de se soulever comme il se doit le couvercle reste coincé, vous vous servez de votre main pour le retirer, il cède alors en s'enfonçant à l'intérieur de la boîte. En voulant le récupérer vous vous coupez méchamment un doigt sur un genre de fil de fer barbelé résultant d'une ouverture à l'ancienne non conforme. Sous le coup de la douleur vous retirez précipitamment votre main et au passage vous vous mutilez un autre doigt sur le bord tranchant du couvercle. La boîte tombe alors par terre, vous mettez un grand coup de pied dedans pour vous défouler. Il y a des petits pois plein la cuisine. Vous envisagez très sérieusement de vous laisser tomber par terre en sanglotant. Vous remettez cela à un peu plus tard car du sang dégoutte de vos doigts sur le carrelage. Heureusement vous aviez laissé la boîte de pansement sortie bien en évidence, pour le cas où, on ne sait jamais.

Deux poupées plus tard vous voilà de retour dans la cuisine, où vous trouvez le chat en train de lécher votre sang sur le carrelage et le chien en train de recracher les petits pois avalés précipitamment et qui ne sont pas du tout à son goût. Alors là posément, sans vous énerver vous leur expliquez gentiment en ne hurlant presque pas, ou alors pas trop fort et à grand renfort de coups de balais que ce sont là des choses qui ne se font pas, ils en conviennent tout naturellement en se retirant avec une dignité un peu froissée toutefois.

Comme il vous restait un fond de mélange eau nettoyant dans votre seau vous l'employez à laver à nouveau le carrelage de la cuisine, non sans vous être employé auparavant à ramasser les petits pois éparpillés un peu partout.

Penser à ne rien répondre a votre femme revenue sur ces entrefaites et qui du seuil de la cuisine vous fait remarquer qu'il est impossible de vous confier le moindre travail sans que cela ne finisse en helzapoppin. Se diriger vers le congélateur pour y prendre un sachet de petits pois surgelés et remplir de glaçon une quelconque poche plastique. Lui donner les petits pois afin qu'elle puisse en faire ce qu'elle veut, vous enfermer dans une pièce obscure avec la poche à glace sur le front en attendant que les envies de meurtre les plus pressantes se dissipent un peu, surtout ne penser à rien.

Maintenant, si vous avez le nom et l'adresse du conna..., enfin du gars là à qui l'on doit tout cela, le même sans doute qui a inventé les emballages de CD, vous seriez gentil de m'en informer. J'aimerai assez me déplacer pour en même temps que lui témoigner toute ma gratitude, lui en serrer cinq. Enfin cinq de son côté, du mien se serait plutôt un à peu près en état mais sans ongle, trois munis de pansements et un moignon d'index sanglant.

Et pendant que j'y suis, si vous avez aussi les coordonnées d'un artisan tueur à gages travaillant à l'ancienne, pas trop dans le chichiteux artistique mais dans le rustique, au lance-flammes à la nitroglycérine ou même au bazooka, un type soigneux, discret, ayant l'amour du travail bien fait et pratiquant des tarifs raisonnables, merci là encore de m'en aviser. C'est pour offrir.

JdC


bboett@inforezo.u-strasbg.fr